Les vieux

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«LES vieux ne dorment pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps. Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant. Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère. Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer… »

La belle chanson de Jacques Brel, « Les vieux », semble pourtant avoir été écrite pour Lucien et Hélène C…., 84 et 78 ans. Ils venaient de fêter de leurs noces de diamant entourés de leur famille!

Leur gendre, ancien maire de la commune, les a trouvés au petit matin, en venant leur apporter le pain. Ils étaient morts, l'un à côté de l'autre, dans leur chambre à coucher. On aurait dit qu'ils dormaient. Seul un petit orifice, dans la tempe de chacun, ainsi que le petit pistolet au creux de la paume ouverte de Lucien, indiquaient qu'ils avaient choisi de « partir » ensemble, plutôt que d'être séparés.

Alors, bien sûr, les gendarmes et tout l'appareil judiciaire ont très vite investi la maison, provoquant une animation bien inhabituelle autour de la coquette maison. Mais il n'y avait rien de criminel -au vilain sens du terme- dans les relevés qu'ils ont effectués. Il n'était au contraire question que d'amour, autour du couple défunt. A commencer par le petit message d'adieu, laissé en évidence à l'intention de leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, dans lequel Lucien et Hélène confirmaient avoir fait ce choix, en toute lucidité.

Aussi, quand les voitures bleues s'en furent allées, c'est presque sereinement que les enfants du couple, tous nés à cette adresse, comme on venait au monde autrefois, nous ont expliqué l'origine d'un drame auquel ils auraient dû s'attendre.

Depuis toujours, en effet, Lucien et Hélène avaient juré que rien, jamais, ne pourrait les séparer. Et qu'ils ne quitteraient jamais, non plus, leur chère maison, qui avait toujours été celle du bonheur absolu. Or, il y a une dizaine d'années, première alerte, Hélène avait été victime d'un accident vasculaire cérébral. Certes, elle avait gardé toute sa tête et pouvait se servir de ses mains, mais pour toutes les autres activités, elle avait besoin de Lucien.

Une dépendance qui avait rapproché encore davantage les deux amoureux, le retraité ne l'abandonnant plus, dès lors, un seul instant, pas même pour aller à la pêche ou à la chasse, ses deux seuls loisirs. « Il la traitait comme une vraie princesse », évoquait une de leur fille, très émue, en se souvenant de la façon dont son père veillait sur sa mère, jour et nuit, l'entourant de mille soins et prévenances.
Et puis, il y a quelques jours, le drame absolu : Lucien, pour la toute première fois, a dû lâcher la main de son Hélène, pour entrer en urgence à l'hôpital , où il a appris qu'il souffrait d'un cancer du pancréas ! Et qu'il n'en avait plus pour bien longtemps. Ses enfants se sont alors mis en recherche de la meilleure maison de retraite possible, sachant combien les délais d'attente sont longs pour ce genre d'établissement. Bien qu'ils demeurent tous à quelques kilomètres, et qu'ils se soient évidemment relayés au chevet de leur maman durant toute l'hospitalisation de leur père, il ne leur était pas possible, malheureusement, d'envisager une autre formule que celle-ci, si Lucien ne devait pas revenir s'occuper d'Hélène.

Alors, c'est précisément Lucien qui a trouvé « la » solution. Il a demandé une permission de sortie temporaire à l'hôpital, sans rien dire de son funeste projet à son fils qui était allé le chercher. Il est rentré chez lui, comme si de rien n'était, mercredi soir, congédiant ses proches en leur disant : « Ce n'est pas la peine de rester ; maintenant je suis là. Je m'occupe de tout, ne vous inquiétez pas ». Et c'est ce qu'il a fait !
Que se sont dit Hélène et Lucien pendant leur ultime soirée ? Nul ne le saura jamais. Ils se sont sans doute simplement rappelé leur serment de ne jamais se quitter, quoi qu'il arrive. Et de ne jamais mourir ailleurs que sous leur toit. Ils sont allés s'étendre et se sont embrassés une ultime fois. Lucien, qui connaissait bien les armes, a alors pris le plus petit calibre qui soit, pour ne pas abîmer le visage chéri.

Un coup pour elle, un coup pour lui. Et ils s'en sont allés ainsi, en paix, comme ils avaient vécu, leurs doigts à jamais étreints…



Oups, j'avoue que j'en ai les larmes aux yeux en lisant ce reportage dans un quotidien local . La consolation est qu'ils ont été heureux toute leur vie et tant d'amour dans ce monde de brutes ça fait du bien.

Respect...............