Toc, toque je me soigne
J’étais donc au milieu du gué, entre cette enfance obscure et ténébreuse et la perspective d’une mort imminente. J’avais cependant identifié clairement les pierres angulaires de ma souffrance : ce ça méconnu, ce moi lisse et aseptisé et ce surmoi vengeur (je porte d’ailleurs toujours sur moi le masque de Zorro … enfin sauf quand j’opère en société).
Je décidais donc de faire appel à des spycialistes.
Rendez vous fut pris. Il s’agissait d’une brigade de cuisiniers de l’âme. Nous avions convenu, puisque mon divan était en réfection (problème de tension des ressorts et j’ en ai profité pour faire recarder la laine, je n’ai pas recardé à la dépense ), que les séances se dérouleraient dans mon laboratoire, en l’occurrence ma cuisine.
Un beau matin (je partirai … et pourtant … pourtant … ), un beau matin donc, débarquèrent les trois cuisiniers (non ce n’était pas les trois Gros (1), ni les trois Suisses).
Les trois toqués toquèrent, quoi de plus naturel en somme. J’ouvris …
Au premier coup d’œil je reconnus le chef de brigade. Il s’agissait d’un homme de haute stature, roux de poils, à la corpulence imposante. Sa toque rajoutait à l’impression de puissance qu’il dégageait. Il fut d’ailleurs obligé de se courber pour passer entièrement sous la tôle de la cuisine (2).
On pouvait lire sur la toque de son second : «Meilleur ouvrier de France 1936 » : l’inscription barrait entièrement le haut de son front (3). L’homme portait des petites lunettes cerclées. Il n’avait pas d’âge et ne se départissait jamais d’une expression d’une grande sévérité…
Un jeune garçon complétait l’équipe. C’est lui qui portait les deux valises contenant le matériel nécessaire à l’intervention. Sa toque était mal vissée sur son crâne et ne devait qu’à ses oreilles décollées de ne pas descendre plus bas.
Les présentations furent rondement menées : votre serviteur … les trois toques s’inclinèrent légèrement, Gérard le chef, Yvon le second et Jacques l’arpette, j’opinai à mon tour du chef (si je puis dire). On m’indiqua d’ailleurs qu’Yvon et Jacques étaient jumeaux, ce qui me perturba au regard de leur différence d’âge. . J’ appris par la suite qu’ils étaient faux jumeaux, ce qui me rassura, et que leur patronyme était Ullé (4).
Gérard déclara qu’il n’y avait pas de temps à perdre et que l’ensemble de l’expérience se déroulerait sur la table de la cuisine. Il essuya d’un revers de main énergique les reliefs de mon déjeuner matinal : biscotte et confiture. L’arpette déballa alors le matériel : il déposa tout d’abord un fragment de toile cirée blanche qu’ il tendit méticuleusement au centre de la table.
Il sortit ensuite d’une des valises une énorme marmite en aluminium (60 cm de diamètre, 80 cm de hauteur). Je n’ai d’ailleurs jamais compris comment cette gamelle avait pu tenir dans la valise. Je n’étais qu’ au début de mes surprises : La marmite était garnie. Elle était remplie d’une espèce de pot au feu bouillant de couleur brunâtre. Rapidement les carreaux de la fenêtre devinrent opaques, recouverts qu’ils furent de condensation.
L’arpette ouvrit alors la deuxième valise en me précisant qu’elle était isotherme. Elle contenait une omelette norvégienne énorme . Mais le gâteau était vivant !!!comme un volcan islandais. Le chaud sortait par des petits cratères qui apparaissaient à intervalles réguliers à la surface de la meringue. Ces émanations dégageaient une odeur pestilentielle……
Chapitre 1 … fin
Cuisson, Réduction
Le décor était planté, Gérard pointa alors du doigt la marmite, pendant que l’arpette l’inclinait dans ma direction afin que j’en découvre mieux le contenu. Un liquide visqueux bouillonnait à l’intérieur : on distinguait des fragments de poireaux (5), des morceaux de carotte, les yeux du bouillon se formaient , se déformaient sans cesse à la surface, je crus même apercevoir quelques navets s’abandonner en eaux troubles un peu en dessous de la ligne de flottaison. Il s’agissait bien d’un pot au feu … La cuisson avait du être douloureuse, comme en attestaient les résidus et autres scories constellant la paroi au dessus de la surface : filaments de poireaux ou d’algues ?, tout un peuple de météorites organiques rejetées à jamais hors du liquide nourricier.
Gérard dit : « Le ça est la, tout est la » . J avais l’esprit embrumé par toutes ces vapeurs et je ne compris que longtemps après la pertinence de son propos.
La présentation du moi fut rapide, Gérard passa lentement l’ongle de son pouce sur le blanc immaculé de la fine toile cirée : à peine une trace sur la pellicule glacée qui s’évanouit aussitôt. Ce moi était désespérément, définitivement, lisse et vide.
Il n’y eut aucun commentaire, le regard de réprobation de mes brigadistes suffit à m’en convaincre.
Vint le tour du surmoi. Le gâteau avait bien gonflé pendant qu’on s’était intéressé à la marmite. Il débordait maintenant largement sur la toile cirée et semblait vouloir la coloniser.
Détail que je n’avait pas remarqué initialement, il était monté sur un plateau rotatif. On fit ainsi le tour du volcan islandais par les quatre faces en commençant par le Sud.
Au fur et à mesure qu’on le découvrait, il se peuplait de personnages qui prenaient vie au milieu des geysers et des fumerolles. On m’en présenta certains, j’en reconnus beaucoup :
Périclés casqué comme sur l’illustration des « Grandes figures de l’humanité », Savorgnan de Brazza, mais que faisait il donc sur ce volcan ?, El Cordobés à moins que ce ne soit Paco Ojeda (6), Charles De Gaulle en habit d’apparat, le patissier Lenôtre …
La face Ouest réserva d’ autres surprises : elle était habitée de personnages plus noirs les uns que les autres : Savonarole, Mémé Guérini…Il y avait même Monmon le gitan du gang des lyonnais qui avait installé sa caravane au bord d’un lac de cratère.
Lorsque ce tour d’horizon fut achevé, je vis pour la première fois l’esquisse d un sourire sur le visage de Gérard : « Ce surmoi a du corps, il est puissant et bien charpenté, ce sera plus aisé pour le réduire … ». Ses propos n’eurent pas le temps de me rassurer que déjà il enchainait avec les objectifs de l’expérimentation, la méthode adoptée et les résultats attendus : « préalablement et idéalement reconstituer l’exhaustivité du ça » … « cela nécessitera courage et prise de risques » … « ce sera le prix à payer pour la remise en ordre » …
Pendant le temps qu’il parlait, les cratères continuaient à fumer et le bouillon à bouillonner. L’atmosphère se faisait de plus en plus lourde, la visibilité baissait. Mes trois brigadistes avaient opté pour une lampe frontale : le travail pouvait commencer.
Chapitre 2 fin
Chapitre trois esquisse
Je voyais mon moi se réduire à vue d œil, ce n’était désormais qu un fin liseret
J’entendais leurs conciliabules : s’agissant du surmoi « Il a mis trop de levure », ou bien
« il faut absolument maintenir le ça en température », ou encore« oui mais son moi réduit de trop »
« Il faut agir vite sinon on risque de perdre le moi »
Non contents de fouiller, touiller, torturer le ça, ils y plongeaient maintenant une énorme sonde thermique. Je …
1) Trois Gros : groupe psychanalytique des côteaux du roannais (près de Tarare à condition que le PainBouchin ne soit par trop enneigé … mettez les chaînes enfin je sais pas … la ou il y a de la chaîne il n’y a pas de …)
2) Tôle : luminaire suspendu très rudimentaire : flasque métallique circulaire légèrement formée en cône.
3) Daladier ou saladier : c est un indice
4) Devinette : Monsieur et madame Cullé ont deux jumeaux. Comment s’appellent ils ?
En mode expert :Yvon et Jacques sont deux jumeaux. Comment s’appellent les parents ?
Je préfère le mode expert.
Tiens une autre : Monsieur et Madame Talus ont quatre garçons ? Comment se prénomment ils ? attention encre sympathique (passez du révélateur) !!!!
Jean, Jean, Jean et Jean
Et pourquoi ? 4 jantes alu c’est plus classe
5) Pour être précis il s’agissait de petits violets de Solaise … les poireaux.
6) les taureaux s’ennuient le dimanche, mais nous étions mardi.