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 Musiques barbares et ferroviaires ...

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maree-basse

maree-basse


Nombre de messages : 28
Date d'inscription : 06/04/2011

Musiques barbares et ferroviaires ... Empty
MessageSujet: Musiques barbares et ferroviaires ...   Musiques barbares et ferroviaires ... EmptyJeu 21 Juil 2011 - 8:41

La maison où je suis né et où j’ai grandi était en contrebas d’une voie ferrée. Les locomotives passaient la haut, noires comme des ombres chinoises. Et leur ventre transmettait à la terre ce grondement tellurique qui m’ébranlait à son tour, comme si trois ventres communiquaient dans la même angoisse. L’odeur soufrée du mauvais charbon qui se consume, tout me revient...

Les poseurs s’occupent de la voie. Ils vivent dans la poussière du ballast qui dégueule par la trappe du wagonnet, le bruit des pelletées jetées à la volée, le crissement de la fourche qui égalise les silex. Le chef d’équipe se tient un peu en retrait le long de la voie à guetter et avertir des dangers, il porte en bandoulière une trompe de cuivre et une large ceinture de cuir, comme une cartouchière, où il range son drapeau rouge et d’autres accessoires. Harnaché de la sorte, le bleu tirebouchonnant sur les brodequins, sa silhouette clownesque régit à coups de trompe tonitruants le ballet des hommes qui enjambent un morceau de rail, s’arc-boutent à l’unisson pour le soulever, ou s’échinent sur les tire-fonds des éclisses. L’équipe arpente ainsi chaque jour quelques décamètres de plus sur le canton.

Les enrayeurs, eux, travaillent au freinage des wagons sur le faisceau de départ du triage, en contrebas de la bosse. Ils attendent les wagons que la machine de manœuvre pousse jusqu’au haut de la bosse avant de les abandonner à la pente et à leur propre gravité. Ils posent des sabots métalliques à cheval sur le rail pour éviter que le wagon percute à la fin de sa course folle, le butoir ou les autres wagons déjà en place sur la voie. Recommence la ritournelle du triage, tout doucement … dong dong, passe l’essieu avant sur l’ aiguillage, dong,dong, l’essieu arrière maintenant, puis les dong dong reviennent, une fois, deux fois, un peu plus rapprochés, un peu plus forts, comme un volant d’inertie qui s’emballe, et puis, un déchirement, un hurlement, les pleurs de l’ acier : la roue vient écraser le sabot de frein, le traîne sur le rail, qui à son tour lacère l’air de son cri, s’ensuit un long gémisssement aigrelet tout aussi insupportable… ça s’atténue, ça s’apaise enfin, encore un dong dong, un dernier tour de roue, une ultime note métallique, la maille d’attelage dans une dernière oscillation, un râle, la carcasse qui finit de geindre, puis plus rien, comme la fin d’une douleur trop vive pour durer : le wagon est freiné, l’enrayeur peut ramasser les sabots.
Parfois le wagon dévale trop vite, ou le sabot se met en travers, alors tout ça se termine dans un fracas épouvantable : le choc des tampons, la chute des marchandises, le craquement des structures, suivent les cris des hommes qui s’invectivent ou se rassurent … qui exorcisent leur peur.
Et puis il y a les ombres qui se forment quand le chapelet de wagons dépasse le lampadaire, enflent comme des ventres obscènes entre les voies, s’allongent sur le ballast comme des colosses , s’éffilent à nouveau dans l’axe du faisceau pour mourir prés des butoirs tout au fond du triage.
Mais à peine ces bruits furieux de l’acier sont ils retombés, à peine la rumeur des hommes s’est elle réappropriée l’espace que déjà la bosse a libéré un autre wagon …

L’été, le triage confie sa musique barbare au vent du sud qui la colporte bien au-delà du Rhône. Elle parvient jusque dans ma chambre, bien sur je la reconnais parce que je la connais. Je reste tard dans la nuit à l’écouter, imaginant ainsi le travail des hommes, les convois qui se forment sur le faisceau au rythme de cette respiration, et surtout à rêver de clochards célestes qui monteraient clandestins au petit matin dans le ventre des wagons en partance.
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