J’arrivai en avance à mon rendez-vous : il n’était que 15 h 22 à la pendule de la brasserie du Théâtre et j’en étais déjà à mon deuxième café. J’observais, inquiet, par le carreau givré le spectacle de la neige qui embrasait la place de la mairie. Le patron avait règlé la TSF sur radio Fourvière (radio locale et religieuse) et les chants grégoriens étaient régulièrement interrompus par des annonces plus alarmantes les unes que les autres : près du magasin Picard un groupe d’écolier avait dévissé sur une plaque de pot au feu surgelé, on ne comptait plus les membres brisés et les pantalons déchirés … un bus pris dans la tourmente aurait même plongé dans le canal près de la Feyssine, par chance il s’agirait d’une équipe de water polo …
Mon inquiétude allait grandissante, j’essayais d imaginer tous les chausse-trapes que vous alliez devoir éviter pour rallier Montchat au centre ville par cette tempête.
Je vous imaginais, parfois frêle silhouette hésitante sur le trottoir verglacé, parfois courageuse et arcboutée dans cette bise tenace pour rejoindre votre destination.
Pour tromper mon attente, je manipulais convulsivement les cartons Bristol que j avais confectionnés pour les besoins de l’enquête. La fiche sur le polonium sortait régulièrement.
Soudain une idée me vint, la période du polonium 137 permettait d’intervenir sur l’espace temps et je pris la décision d’oublier notre rendez-vous.
Cette journée n’était, décidément pas ordinaire. La suite confirma largement mon intuition.
Je me rendis non sans mal à la gare routière. Le hall était bondé de voyageurs en souffrance.
Les préposés s’activaient à tromper l’attente de tout ce monde. Ils passaient d’un groupe à l’autre. Seuls ceux qui allaient nulle part étaient rassurés. Dans l incessant aller retour des deux portes de verre de l’ entrée le froid s’engouffrait et avec lui tout un cortège de papiers et autres détritus que le vent mauvais apportait. Une atmosphère de fin du monde régnait.
Ces moments que la vie offre aux cancres de tous poils, ces moments où la routine, le quotidien s estompent laissant place à tous les possibles. J essayais de faire abstraction de cette ambiance particulière.