ODE AU CHOCOLATAuteur inconnu
Cher chocolat,
Ecrire ton nom me met l'eau à la bouche ... Je sens déjà monter en moi l'irrésistible appel du placard.
C'est comme un acte réflexe sur lequel ma volonté n'a plus aucun pouvoir, et mes pas me portent vers la cuisine. Plus rien n'existe dans l'univers que cette boite en fer émaillée de dessins d'autrefois. Le couvercle qui résiste rend plus pressant encore le désir de sentir ta tendre amertume sous mes dents, puis l'explosion de ta suavité sur mes papilles et mon palais ...
Avant même de casser la barre entre mes doigts fébriles, je sais que va survenir un moment de sensualité secrète. Dans ce rituel qui commence, les préliminaires font déjà partie du plaisir. J'aimerais davantage de discrétion entre nous ...
Il faut que je mette de l'huile sur les gonds de cette porte : toute la maisonnée va nous entendre..... Tu es encore vierge sous la transparence de ta Cellophane ... Je vais être la première à dévoiler ta nudité, à caresser le kraft de ton papier brun, à t'ouvrir comme une lettre qu'on déchire et qu'on dévore, sans même prendre le temps de découvrir la savoureuse recette imprimée sur ton dos ...
Mais, d'abord, saisir le petit pli caché de ce voile transparent qui enserre les deux plaques l'une contre l'autre dans leur emballage d'origine. Peine perdue, le collage est parfait, comme d'habitude. Un coup d'ongle sur la césure je glisse un doigt sous ton vêtement de papier, puis, du plat de la main, je soulève le rabat qui révèle ta couleur et exhale une bouffée de ton parfum sucré. Le fin du fin c'est de casser en un seul morceau ta première barre en laissant intact le reste de la plaque ...
Après, tout va très vite, c'est secret, furtif et délicieux. Un nuage d'enfance surgit, lorsque la chaleur de la bouche entame la fonte des premiers morceaux qui se brisent sous la dent, quand les narines interceptent, par le palais, les premiers effluves parfumés ...
Même si on se sent un peu coupable après, tu contiens du magnésium, et le magnésium, c'est nécessaire et même indispensable pour l'équilibre. En fait tu es presque un médicament... Et là on en reprend. Parce que s'arrêter, dans ces conditions, ça confine à l'héroïsme. D'ailleurs le péché de gourmandise ne commence que lorsqu'on se rend malade ...
Il y a mille façons de t'aimer, de te consommer. Moi, j'adopte la façon puriste, noir de chez noir, limite corsé. Mais je t'aime aussi pour les autres. Je trouve dans la préparation des desserts une volupté et une jubilation à anticiper le plaisir à venir, le partage avec les gens que j'aime ...
Quoi de plus beau que la frimousse des enfants après le traditionnel léchage de la casserole, les petites traces qui trahissent les gourmands !!!
Je suis mordue de toi sous toutes tes formes, en crème, en mousse, en poudre, froid dans un verre ou chaud dans un bol à l'ancienne, en coulis de profiteroles, en petits bouts durs dans la glace, sur un petit poulain blanc ou près d'une vache bleue ; belge, suisse, français ou maya, en nappage, pris en sandwich au cœur d'un macaron moelleux ou en effluves par le soupirail qui laisse s'échapper dans la rue ton parfum mêlé à celui des croissants chauds du petit matin ...
Tu peux toujours me faire les yeux doux avec tes barres à la noix, tes écorces d'oranges confites ou tes éclats de noisettes craquantes, me faire une fleur avec tes fèves blanches de Gianduja. Bien que blanche de peau je suis BLACK de chocolat ...
Et même si, avec ton air de ne pas y toucher, l'accoutumance me guette, même si je me sens un peu plus accro à chaque fois, jamais je n'atteindrai le point de rupture ...
Fidèle du premier carré, je pilerai net à l'extrême limite du supportable.
STOP !!! J'aurais si peur de franchir le niveau de saturation, la cote d'alerte, de basculer d'un coup dans l'aversion, peut-être même dans l'allergie... Si un jour ton désir me plaque, je fais un cacao nerveux ! Et c'est toi qui seras chocolat !!! ...
Non ce serait vraiment trop triste ... Passer le reste de ma vie sans toi !!!
lors faisons un pacte : ne me laisse jamais aller trop loin avec toi, retiens moi juste à temps avant que je fasse un malheur. En échange je t'inventerai des mots insensés, que tu comprendras ..... je ferai un domaine où l'amour sera loi, où tu seras Roi.
Ne me quitte pas ... ne me quitte pas ... ne me quitte pas !!!